Un cheval de Trop

Un cheval de Trop

samedi 24 juillet 2010

Pour vous aider à passer de bonnes vacances et oublier le boulot, quelques extraits de « Virage dangereux »


 «  Tandis qu'il parlait, les deux autres ont connecté des portables et sur l'écran sont apparus des tableaux et des schémas joliment coloriés. Nos regards se sont laissés gagner par l'élégance des graphiques et des histogrammes qui se succédaient en un feu d'artifice serré bien plus long que ceux toujours trop brefs des 14 juillet. Les gerbes de données rouges ou vertes ou bleues ne soulevèrent pas de cris joyeux, mais petit à petit la qualité du show a fait oublier le sujet. Les camemberts découpés en secteurs bariolés prenaient des airs alléchants. Le rouge parait les déficits d'un aspect attrayant. Les courbes même plongeantes conservaient un tracé gracieux. Les réalités les plus concrètes ainsi dépeintes s'éloignaient de nous dans un univers bigarré en expansion constante. Nous devenions des spectateurs guidés par le seul plaisir des images, nous avions adopté la perspective confortable d'extra-terrestres regardant notre propre planète. Nous en étions arrivés à oublier que les fourmis s'agitant sous nos yeux ravis, c'était nous. »


« On nous avait donné de nouveaux praticiens, bien plus savants, ce qui aurait pu nous consoler de changer de médecin traitant. Malheureusement leur compétence s'exprimait aussitôt sous la forme d'un diagnostic de maladie en phase terminale. Ils avaient pris tout leur temps pour nous ausculter et déceler des maux prêts à se révéler. Nous étions condamnés par des gens qui savaient de quoi ils parlaient. Ils l'avaient même consigné dans de volumineux rapports d'audit qu'aucun d'entre nous n'avait lus mais dont l'épaisseur, attestée par ceux qui les avaient entrevus posés sur le bureau d'un de nos directeurs, suffisait à accréditer le sérieux. Ces experts laissaient toutefois poindre un mince espoir ; nous pouvions encore être sauvés, mais il fallait amputer. En dépit de leur costume et de leur mine sombre, ils se posaient pour quelque temps encore en thérapeutes mais nous leurs trouvions de plus en plus des airs de croquemorts. »

« Sur le coup, je ne trouvai pas d'explication logique. Je tournais et retournais la question, posais les faits noir sur blanc, traçais des flèches et reliais des cases. Au bout d'une heure de graffiti stériles, j'avais rempli des pages, mais guère avancé vers la solution de l'énigme. On m'avait appris à lire par la méthode globale, seule explication à cette difficulté à raisonner comme Descartes. L'esprit n'aime pas qu'on le torture, qu'on le force à suivre des chemins qu'il n'a pas choisis librement. Mes synapses s'opposaient résolument à être prises pour des aiguillages, rechignant à s'enclencher dans l'ordre et dans le calme. A mes demandes pressantes d'explications, elles répondaient par un brouillard de parasites. Pire, plus je tendais l'oreille, moins je percevais de signaux. Ma soif d'explications ne rencontrait qu'un vide de logique. Délaissant alors les autoroutes de la déduction classique, j'ai quitté mon fauteuil, et au lieu de tracer des schémas sur le papier, à l'image d'Holmes ou d'Hercule Poirot, j'ai arpenté la pièce de long en large en mâchonnant une allumette. Si, au terme de ce périple, rien ne se faisait jour, au moins aurais-je poli le parquet qui en avait bien besoin. »


« Je suis sorti faire quelques achats. Tandis que je payais à la caisse de la supérette j'eus la désagréable impression d'être surveillé. Je tournai vivement la tête. Derrière moi une vieille dame poussait un caddie à moitié rempli, un jeune homme vêtu d'un tee-shirt bariolé sous une épaisse veste canadienne, de jeans effrangés en usine et de baskets éculées, attendait à sa suite un paquet de biscuits et un pack de jus de fruit à la main. Un peu plus loin, j'aperçus un homme aux cheveux bruns coupés courts, portant un pull à col roulé et une veste sombre, occupé à déchiffrer les étiquettes du rayon des alcools. Il me parut un peu trop absorbé par sa tâche. Mais je dus avouer que je ne me souvenais pas l'avoir déjà vu, devenais-je parano ? Je quittai le magasin.
Décrivant un itinéraire chaotique pour vérifier que personne ne me suivait, je ne perçus rien d'anormal, à moins qu' « ils » ne soient assez habiles pour déjouer ma vigilance. En rentrant, je me sentais épuisé. Sans même allumer la lumière, posant mon sac sur le carrelage, je me suis laissé tomber sur une chaise. C'est alors que j'ai senti une présence dans la pièce. J'ai bondi sur l'interrupteur. »



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